Warrior Women : ce n'est pas la dernière production hollywoodienne à la mode !
Dans le cas présent, il s'agit d'une importante collection de sculptures toutes réalisées par Alice Woodruff et qui étaient présentées dans la petite ville de Watkinsville (proche banlieue d'Athens). A mon sens, l'œuvre artistique est l'égale de l'enquête sociologique qui la sous tend.
La condition de la femme
Alice Woodruff a la parole (extrait de la préface du livre de l'exposition) :
"J'ai fabriqué mes sculptures à partir d'histoires vraies qui m'ont inspirée. La question de la condition de la femme se trouve aux carrefours des genres, de la politique, des races et des génerations. Toutefois, les mouvements qui représentent ces différents pans de la société ne prennent pas cette question en compte et la rejettent. Les femmes sont attendues pour participer à la peine des autres : cela a assez duré et nous ne sommes pas les escabaux des autres.Je suis furieuse et je vous présente mes combattantes. La plupart, pour être représentées convenablement, sont recouvertes d'accessoires. Beaucoup portent des armes. Elles s'adressent à l'époque actuelle. Chaque pièce est inspirée d'un fait divers : viol, agression... Partant d'une situation de peur, elles font finalement preuve de force, confiance et fierté…
Les sculptures n'ont pas de tête car elles peuvent représenter chacun d'entre nous…
...Mon travail a commencé dans les années 2016/17 après l'affaire Harvey Weinstein et les commentaires sexistes de D. Trump. Le New York Times révélait alors nombre d'articles témoignant d'agressions sexuelles dont des femmes étaient victimes. J'étais impressionnée par les révélations de ces femmes. Je pensais que les choses étaient en train de changer. Comme je ne suis pas une marcheuse dans la rue, ne suis pas membre d'un groupe de pression et ne me présente pas à des mandats électifs, je fabrique des choses. Les premières pièces ont été faites rapidement et sous le coup de la colère."
Voici quelques histoires qui ont inspiré Alice :
Christine
"C'est la plus lourde des premières combattantes. Depuis longtemps, les médecins soupçonnent que des traumatismes de l'enfance (verbaux, physiques voire sexuels) sont liés à des obésités à l'âge adulte. Maintenant cette question est étudiée scientifiquement."
Alice
La plupart des sculptures s'inscrivent dans des séries sur un thème. Exemple qui a malheureusement affecté Alice : le cancer du sein.
Une femme sur 8 aux USA developpe un cancer du sein. Selon Alice, une fois le diagnostic posé, on entre dans un flot sans fin de prise de rendez-vous et d'examens. Une fois la décision prise de procéder à une double mastectomie, Alice constate que sa capacité à travailler et à créer était affectée, qu 'elle en a pour une année de traitement et qu'elle n'est plus en contrôle de sa vie.
Pendant toute cette période, elle a quand même continué à travailler même si c'était difficile car cela avait une vertu "thérapeutique". Bien sûr, son état a des répercussions dans la famille et sa petite fille reçoit de son enseignant un livre comparant le cancer a de mauvaises herbes dans le jardin (sculpture ci-dessus).
Parmi les autres conséquences, Alice devait endurer celle du traitement en particulier de la chimiothérapie qui affecte le cerveau.
Hela
Hela aimait danser et chanter. Elle consacrait sa vie à ses cinq enfants et à l'église. A l'âge de 39 ans, en 1951, elle est atteinte d'un cancer du col de l'utérus. Sans lui demander son avis, les docteurs prélevèrent des échantillons de tissu. Le laboratoire découvrait que ses cellules cancéreuses se développaient extrêmement rapidement et étaient très robustes. En moins de deux ans, elles furent partagées dans le monde entier sous l'appellation "cellules d'Hela" et contribueront à l'avancée scientifique en matière de cellules cancéreuses et de leur reproduction.
Elles ont été utilisées pour tester et développer des vaccins et ont été la base de 60 000 articles scientifiques. Elles ont également permis l'étude de la propagation des maladies.
9 mois après le diagnostic, Hela décédait. Ni elle, ni ses enfants n'ont jamais eu de reconnaissance (morale ou financière) pour l'utilisation de ses cellules qui ont enrichi des individus, des laboratoires et des compagnies pharmaceutiques dans le monde entier ! Au contraire, sa famille continua de vivre dans la pauvreté et ce n'est qu'en 2011 qu'un article lui rendait hommage.
Parmi les autres thèmes abordés par Alice :
- la séparation des enfants de migrants de leurs parents à la frontière causée par la "tolérance zéro" de Trump.
- la déportation des Indiens d'Amérique et l'envoi de leurs enfants dans des pensionnats avec le but avoué de "tuer l'indien" et "sauver l'homme".
- l'engrossement des jeunes esclaves noires par leur maitre avec souvent des conséquences désastreuses sur le plan obstétrical. Un 'gentil" chirurgien s'est même fait la main en en opérant une vingtaine... sans anesthésie et sans doute sans leur consentement !
- les epouses enfants : plus de 50 pays sont affectés par ce phénomène. Enceintes trop jeunes, elles n'ont pas de suivi prénatal et perdent souvent leurs enfants,
L'artiste en quelques mots
(toujours d'après le catalogue de l'exposition)
C'est lors d'une visite d'un enseignant de l'université de Georgie dans son lycée qu'Alice découvre son propre intérêt pour la poterie. Elle est alors invitée à un studio de céramique à l'université, expérience qu'elle renouvelle dans plusieurs autres endroits du pays. En 1972, elle ouvre son premier studio de poterie dans le comté de Oconee (à côté d'Athens). Elle a expédié ainsi pendant 24 ans ses productions à des galeries, des magasins de cadeaux et des musées. Elle est appelée pour participer à des jurys lors d'expositions et réalise aussi les siennes.
A la quarantaine, elle retourne à l'université pour obtenir enfin un master en infirmerie et se spécialise dans la neurochirurgie. Après 13 ans de cette aventure, elle retourne à son premier amour : l'argile. Elle s'oriente vers la production de sculptures à thèmes. Elle produit ainsi une collection d'œuvres en hommage à son fils décédé. Par la suite, elle entreprend l'œuvre présentée ci-dessus intitulée au départ " Les femmes combattantes, d'invisibles à formidables".
Video de l'exposition -> clic